Visite de l'ectochâteau

La nouvelle année commençait par une sortie réservée aux démons entre neuf et treize ans. J’en faisais partie, ainsi qu’Obsédianne et Rükhaas. Mes amis magiciens, excepté Azor, venaient aussi. Notre guide serait le sorcier Doxian, accompagné par Fagolise, la bibliothécaire, Ezraol, l’ancien fou, et de Dafomino, le professeur de géographie aux multiples talents.
Doxian nous avait donné rendez-vous au réfectoire, après le petit-déjeuner. Rem Jrano nous préparait des paniers-repas. Le sorcier arriva à l’heure, ce qui me surprit. J’étais tellement habitué aux retards de l’archimage que j’avais étendu le concept à tous les magiciens, sorciers et archimages. Mais peut-être que cette spécificité s’appliquait uniquement à la dernière catégorie. À moins que ce soit un problème de Mojerhate.
Doxian vérifia magiquement que nous étions tous là.
- Très bien, dit-il. Nous pouvons partir.
- Maintenant ? demanda Élyana.
- Oui maintenant, répondit le sorcier avec sarcasme.
La journée commençait bien. Il avait l’air de mauvaise humeur, enfin pas plus que d’habitude. Les autres professeurs qui nous accompagnaient arrivèrent. Ils furent accueillis par un regard assassin du sorcier.
- Où allons-nous ? se risqua un démon.
- Dans l’ectochâteau, perdu quelque part dans la forêt de Lithia.
- C’est dangereux ! s’exclama Ilrif.
Il était aussi du voyage. Apparemment cette expérience était très importante pour notre apprentissage, d’où sa présence. Il n’avait pas fini sa punition.
- Nous risquons de rencontrer des orques, enchérit Da’læth.
- Les orques ne s’approchent pas de ce château, rassura Dafomino. Vous comprendrez bien vite pourquoi.
- Assez parlé, reprit Doxian. Nous partons maintenant.
Il ouvrit un immense portail et nous projeta tous dedans.

J’atterris sur un sol dur. Cela ressemblait à de la boue humide mais de près on aurait dit du granit. Tout autour de moi, les arbres avaient cet aspect de mort. Celui qui fait froid dans le dos. Quelqu’un osa toucher une écorce.
- C’est glacé, dit-il.
L’air empestait le soufre. Une brume s’élevait du sol. Elle était parcourue de mana. Elle s’abreuvait de tout ce qui vivait ici. Je la vis se concentrer autour de nous.
- Bienvenue à Lithia, clama Doxian. Nous allons entrer dans le château pour nous mettre à l’abri de cette fumée nocive.
J’étais le seul, hormis nos accompagnateurs, à savoir à quel point elle était dangereuse. Le château était perdu dans la brume, on pouvait voir au travers des murs. Quand on se concentrait dessus, il devenait invisible. Il fallait le regarder du coin de l’œil. Difficile d’en faire une description détaillée. Il semblait avoir quatre tours entourant un donjon impressionnant. Les remparts étaient à l’abandon. Les douves étaient remplies d’une eau noire qui bouillonnait par endroit. Le pont-levis était levé.
Soudain, un ricanement sonore se fit entendre. Nous nous resserrâmes. Je n’aimais pas ça. Le pont-levis s’abaissa doucement.
Une fois dans la cour intérieure et le pont-levis relevé, le château nous apparut dans toute sa solidité. Pourtant, un état de vétusté avancée prédominait. Il y avait des lézardes sur les murs, des herbes hautes avaient pris possession de l’écurie et s’incrustaient entre les dalles. Il en manquait quelques-unes. Or il aurait été impossible à une armée de faire tomber ce château.
En levant les yeux au ciel, j’aperçus une brume épaisse. Puis une paire d’yeux me fixa et un rire sonore retentit. Il faisait froid. Nous avions peur.
- Entrons, proposa Doxian.
Nous suivîmes le sorcier jusqu’au hall. Il régnait une douce chaleur, il y avait une table remplie de nourriture fumante, comme si nous étions attendu.
- Ne touchez à rien, prévint Ezraol.
Trop tard. Les plus gourmands tentaient déjà d’essayer d’attraper cette nourriture. Un éclat de rire, démoniaque celui-là, retentit. Il fut repris par tout le monde en voyant la tête des déconfits.
- Cette nourriture n’existe pas, expliqua Fagolise. Elle est fantomatique. Tout ce qui se trouve ici l’est. D’où le nom de ce château, l’Ectochâteau.
- L’ectochâteau est un château mondialement connu, ajouta Dafomino, mais personne ne sait pourquoi il se trouve dans cet état.
- Les Adorateurs de Cleffe avait tenté d’élucider ce mystère, précisa Ezraol. Nous avons passé trente décades dans ce château. J’en connais les moindres recoins. Pourtant, nous n’avons rien trouvé.
Il secoua la tête. Il regrettait cet échec.
- Vous vous demandez pourquoi je vous ai amené ici, dit le sorcier.
J’affirmai de la tête. Cela m’intriguait. Ce château était bizarre. Les murs étaient parcourus d’un mana bleue pâle, comme si lui aussi était fantomatique. Voilà ce qui les rendait invisibles. En regardant le mana, je vis qu’il se concentrait dans une pièce au loin avant de disparaitre. Je ne compris pas cette bizarrerie.
- L’ectochâteau est le seul endroit pour faire connaissance avec La Mort en toute sécurité. C’est le seul lieu où les fantômes existent. Si vous avez de la chance, vous pourrez apercevoir le réveil des morts.
Je frissonnai. Il n’y avait rien de réjouissant là-dedans.
- Qu’est-ce que La Mort ? demanda Ilrif. Le dieu de l’autre monde c’est Pluton.
- La Mort est un ancien dieu, répondit Ezraol. Son âme affaiblie parcourt les couloirs de ce château. C’est la raison la plus communément admise pour expliquer son aspect fantomatique et la présence des spectres.
- Partons maintenant à sa recherche, s’enthousiasma Doxian.
Il souriait !

Nous le suivîmes à travers les couloirs déserts, explorant les lieux avec crainte. Ici et là il y avait quelques restes de cadavres. Personne ne parlait, chacun fixait les murs, s’attendant à voir une main apparaitre. Le moindre effleurement me faisait sursauter, le plus petit courant d’air me faisait me retourner, le mana prêt à jaillir de mes deux mains. Doxian nous avait interdit de sortir nos armes. Il s’arrêta devant une double porte.
- Voici la chambre royale.